Portrait photographique de Marie Moret assise à une table

Marie Moret à l'âge de 25 ans environ. Photographie anonyme, vers 1865. Collection archives départementales de l'AIsne.

Portrait photographique de Marie Moret en buste

Marie Moret à l'âge de 38 ans environ. Photographie Émile Compiègne à Guise, vers 1878. Collection Familistère de Guise (inv. n° D-2018-0-99).

Un groupe de trois femmes à l'extérieur

de gauche à droite : Emilie Dallet, Marie-Jeanne Dallet et Marie Moret. Photographie anonyme, vers 1900. Collection Familistère de Guise (inv. n° 1999-1-226).

MARIE MORET (1840-1908) : UNE BIOGRAPHIE

Toute biographie est provisoire. C’est d’autant plus vrai dans le cas de Marie Moret que les archives la concernant sont incomplètement exploitées. L’édition de son importante correspondance, notamment, entamée en 2021 dans le cadre du projet FamiliLettres, va probablement conduire à préciser sa personnalité et à réévaluer son rôle au Familistère. La biographie qui suit sera donc mise à jour.

De Brie-Comte-Robert à Guise en passant par Bruxelles

Marie-Adèle Moret naît le 27 avril 1840 à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne). Elle est la fille de Jacques Nicolas Moret (1809-1868), maître serrurier à Brie, et de Marie-Jeanne Philippe (1808-1879). Marie est la sœur cadette d’Amédée, né en 1839, et l’aînée d’Émilie, sa biographe, née en 1843. Elle fréquente une école religieuse jusqu’à l’âge de treize ans. Malgré son désir de poursuivre des études, elle est placée en apprentissage de lingère pendant deux ans.

Le père de Marie, Jacques-Nicolas Moret, est un cousin germain de Jean-Baptiste André Godin. Pour une raison inconnue, le père de Jacques-Nicolas, Louis Éloy Godin (1782-1841), né à Boué dans l’Aisne, a adopté le patronyme de Moret sous l’Empire et s’est installé en Seine-et-Marne à Crécy-en Brie. En 1835-1837, les deux jeunes serruriers accomplissent ensemble un « tour » de perfectionnement professionnel dans le midi de la France. Dans les années 1840, Godin parvient à intéresser son cousin au fouriérisme. En 1855, il le convainc de venir travailler avec lui. La manufacture d’appareils de chauffage et de cuisson Godin-Lemaire connaît alors un développement important, et Godin envisage la possibilité de rejoindre la colonie fouriériste de Réunion au Texas. Il a besoin d’une personne de confiance pour diriger ses ateliers. Le 5 mai 1856, la famille Moret quitte Brie-Comte-Robert pour s’installer à Guise.

Godin et Moret s’entendent alors pour satisfaire le désir de Marie de reprendre des études. Elle est envoyée dans un pensionnat à Bruxelles, où Godin a commencé à organiser des ateliers de fabrication. Marie Moret y est accueillie par un couple de français, Adeline-Augustine Brullé-Tardieu, fille d’un graveur-géographe, et Alexandre Brullé, ancien éditeur de musique et sympathisant fouriériste, que Godin emploie pour diriger la succursale belge de la manufacture de Guise. Godin visite sa petite-cousine à l’occasion de ses voyages à Bruxelles. Leur correspondance en 1858-1860 témoigne que les deux parents sont entrés en communion d’idées et de sentiments.

Propagandiste du Familistère

Marie Moret revient à Guise en 1860 quand s’achèvent les premières constructions du Familistère. Elle s’installe dans l’aile gauche du Palais social, dans un appartement voisin de celui qu’occupe Godin. Elle a vingt ans. La jeune femme porte les cheveux courts. Elle a la fierté d’une femme instruite. Une des plus anciennes photographies qu’on connaisse d’elle (prise vers 1865) la montre assise à une table où ont été placés plusieurs livres reliés, dont un volume de Voltaire et un autre de Racine sur lequel elle pose les mains tout en fixant l’objectif.

Elle devient secrétaire du fondateur du Familistère, fonction qu’elle considère comme une mission : « Le rôle du secrétaire du fondateur dans l’œuvre de propagande de ses idées est d’abord de tenir la plume sous la dictée du fondateur ; mais le secrétaire doit, en outre, pour accomplir en conscience la mission qui lui incombe, s’initier à la doctrine et donner tout le concours de sa volonté et de ses forces à un travail qui, pour être bien fait, doit être envisagé comme un apostolat. » (Mémoire sur la fonction de secrétaire du fondateur, 14 octobre 1880). Marie Moret transcrit les conférences que Godin prononce à l’intention de la population du Familistère, s’occupe de sa correspondance, collabore à la publication de ses ouvrages et se charge du secrétariat de rédaction du journal du Familistère Le Devoir, fondé en 1878. Elle contribue, dans les échanges incessants qu’elle a avec Godin, à la formulation des idées de l’industriel réformateur. En acquérant une certaine maîtrise de la langue anglaise – tirant notamment profit des conseils d’Antoine Massoulard, gérant anglophone du Devoir de 1878 à 1879 – elle permet à Godin d’être informé sur les expériences et les réformes sociales aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Marie Moret fait aussi œuvre d’autrice en publiant des traductions en français de textes de réformateurs anglo-saxons. Elle adapte et traduit, à la suite de Massoulard, le roman de l’américaine Marie Howland, Papa’s Own Girl. Le texte, qui évoque le Familistère, est publié en feuilleton dans Le Devoir en 1878-1879 et édité en un volume à Paris en 1880 sous le titre La fille de son père. En 1881, elle publie à Saint-Quentin une brochure, Histoire des équitables pionniers de Rochdale, résumé en français du livre du coopérateur George Jacob Holyoake sur la première coopérative de consommation britannique. En 1882, elle fait paraître en feuilleton dans Le Devoir, puis en un volume à Saint-Quentin, une traduction de l’Histoire de l’Association agricole de Ralahine, récit de l’expérience sociale irlandaise par Edward Thomas Craig publié dans le journal des coopérateurs anglais The Co-operative News.

Marie Moret participe également à la conduite de l’expérimentation familistérienne. Dès son retour de Bruxelles, elle remplit la fonction de directrice des services de l’enfance, dont elle surveille l’installation. Elle est responsable de la bonne organisation de la crèche et de l’inspection des écoles et elle surveille l’application des principes d’une éducation moderne, bienveillante et attrayante. Elle laisse aux instituteurs et institutrices du Familistère le soin d’enseigner, mais elle s’occupe de pédagogie : elle initie des cérémonies honorifiques mensuelles récompensant les élèves ; elle met au point une méthode froebélienne d’apprentissage de l’arithmétique par le jeu ; elle choisit et commande les livres à l’usage des maîtres, des maîtresses et des élèves ; elle organise, enfin, la fête de l’Enfance, instituée au Familistère en 1863.

La présence active de Marie Moret au Familistère et son entente avec Godin sont vraisemblablement comprises par l’épouse de l’industriel comme son éviction. En novembre 1863, Esther Godin-Lemaire fait scandale, accuse son mari de violences conjugales et d’adultère. Elle demande la séparation, ouvrant la voie à un long procès sur le partage de la communauté de biens des époux, conclu en 1877.

L’ange du Familistère

Collaboratrice et compagne de Godin, Marie Moret surmonte l’inconfort de sa position. Elle entretient de bonnes relations avec le fils de Godin. Émile, né lui aussi en 1840, a pris – provisoirement – le parti de son père et vit comme ce dernier au Familistère. « Mademoiselle Marie » ou « Madame Marie », ainsi qu’elle est appelée au Palais social, siège dans les conseils élus du Familistère qui règlent diverses questions touchant la vie quotidienne des habitants du Palais social et elle participe à l’animation des sociétés d’agrément qui s’y forment. Il semble que la jeune femme joue un rôle de médiatrice de la réforme godinienne parmi la population du Familistère. Godin la considère comme son « ange gardien » (Lettre à Francesco Vigano, 10 décembre 1885) et elle apparaît aux visiteurs ou aux habitants de Guise comme le « bon ange du Familistère » (Dallet, 1910, p. XIV). Un ange tout de même genré puisque Marie Moret personnifie le projet d’émancipation de la population féminine du Familistère.

Lorsque Godin est élu député à l’Assemblée nationale en février 1871, elle l’accompagne à Bordeaux puis à Versailles, où siège alors l’Assemblée. Les sessions parlementaires les éloignent du Familistère au cours de cette période (1871-1875). Comme il l’écrit à Osborne Cyrenus Ward le 27 août 1871, Godin se trouve à l’Assemblée « mourant de dépit de la triste besogne qu’il est obligé d’y voir faire ». À Versailles, tout en remplissant ses fonctions de secrétaire, Marie Moret, et Godin avec elle, se plonge dans la lecture des textes sacrés des différentes religions et des écrits d’Emmanuel Swedenborg. Les visions du mystique suédois répondent à leur désir commun d’une spiritualité élevée. « Les vérités religieuses me sont chères, écrit-elle le 10 juillet 1889 à C. Human, mais je ne vais jamais aux cérémonies du "Romanisme". Par conséquent, j’apparais à la foule comme une personne qui repousse l’idée religieuse, ce qui est le contre-pied de la vérité. ».Comme Godin, Moret est encline à l’ésotérisme. Elle est d’ailleurs la médium des séances spirites familiales qui se tiennent au Familistère.

Le 13 août 1880 Marie Moret est l’une des six premières personnes à adhérer aux statuts de l’Association coopérative du capital et du travail en qualité d’associée. La secrétaire du fondateur devient ainsi officiellement une travailleuse de la Société du Familistère. Elle est la première femme à participer aux délibérations de l’assemblée générale de l’Association. Elle assiste même aux séances du conseil de gérance dont elle rédige les comptes rendus en qualité de secrétaire du conseil à partir de décembre 1880.

La fondation de l’Association coopérative du capital et du travail pose immédiatement la question de sa pérennité. Grâce à la précision des statuts, des « hommes d’une habileté ordinaire », selon Le Devoir du 21 mars 1886, peuvent administrer l’Association. Mais le gouvernement de celle-ci ne peut s’en tenir à la lettre des statuts. Le but de l’Association n’est pas uniquement d’ordre matériel. Elle devrait, selon son fondateur, engager ses membres à une coopération spirituelle, à une véritable fraternité ou sororité. Une autorité morale doit l’incarner. Marie Moret tient ce rôle aux côtés de Godin et à sa place après le décès de celui-ci. C’est le sens de leur union civile après la mort d’Esther Lemaire en 1881. « Rendre incontestable pour tous, surtout pour les partisans de nos idées, notre affection, notre dévouement, notre entente mutuelle, écrit Godin à Alexandre Tisserant le 19 juin 1886 ; affirmer que Marie, par les services qu'elle me rend et m'a rendus s'est identifiée à moi, qu'elle a mérité de recevoir le dépôt de ma pensée et d'être la compagne avouée et désignée de ma vie et de mes travaux ».

Marie Godin, écrivaine

Marie Moret et Jean-Baptiste André Godin se marient à Guise le 14 juillet 1886. Si le jour de la fête nationale a été choisi, c’est, explique Marie Moret, pour éviter le chômage du personnel de l’usine qui aurait voulu prendre part à la fête organisée en l’honneur des époux (Lettre à Alexandre Tisserant, 3 juillet 1886). C’est aussi une façon de placer leur union sous les auspices de la République. Marie Moret déclare la profession d’écrivaine dans l’acte de mariage. Elle a souhaité se marier sous le régime de la séparation de biens pour éviter les malentendus et pour manifester son indépendance. Elle détient au moment de son mariage, par voie d’héritage ou grâce aux revenus de son travail, des valeurs boursières, des titres de participation dans le capital de l’Association du Familistère, des meubles et une bibliothèque, ainsi qu’une petite propriété à Lesquielles-Saint-Germain, près de Guise. L’ensemble est évalué à 800 000 francs.

Marie Moret est officiellement instituée dépositaire de l’héritage intellectuel du fondateur du Familistère par l’article 19 du testament que Godin rédige le 30 juin 1887 pour léguer à l’Association la part disponible de sa fortune. Celle-ci est tenue de verser 300 000 F à Marie Moret pour « pourvoir à la publication de mes ouvrages et de mes manuscrits après ma mort et, s’il y a lieu, de publier et diriger le journal Le Devoir ». Le même article du testament précise en outre que Marie Moret est nommée membre honoraire du conseil de gérance avec voix délibérative et qu’elle recevra de la part de l’Association un versement annuel de 1 200 francs « comme témoignage des services de dévouement qu’elle rend à l’Association, et pour fixer statutairement son droit de membre associé dans la société. »

Lorsque Godin meurt subitement le 15 janvier 1888, les associé·es du Familistère, en désaccord sur le choix d’un candidat à la gérance de l’Association, se tournent rapidement vers elle pour qu’elle succède à son époux. Malgré ses réticences, elle est élue administratrice-gérante le 26 janvier 1888 par 86 voix sur 90 associé·es inscrit·es. Le 12 février suivant, un « gérant désigné », François Dequenne, est élu à son tour pour conduire les affaires industrielles, auxquelles Marie Moret avoue ne rien entendre. La raison sociale de la Société du Familistère Godin et Cie change pour Veuve Godin et Cie. Marie Moret avait laissé entendre qu’elle ne remplirait cette fonction que temporairement, le temps que les coopérateurs/trices apaisent leurs différends sur la bonne marche de l’Association. Elle démissionne sans surprise le 1er juillet 1888 en laissant la gérance à François Dequenne. Avec soulagement, elle peut se consacrer à la publication du Devoir et des manuscrits de Godin. Elle s’attèle immédiatement à l’édition du dernier ouvrage rédigé par son mari, La République du travail et la réforme parlementaire (Paris, 1889). Si elle ne s’autorise plus, dès lors, à intervenir dans les affaires de l’Association du Familistère, elle reste une observatrice attentive de son évolution. En privé, elle est une critique parfois acerbe : « Nos gens, vous le savez bien, sont des associés et des coopérateurs malgré eux. Celui qui les a liés à l’œuvre n’est plus là avec son autorité de fondateur pour les tenir quand même dans la voie. Ils feront ce à quoi nos statuts les obligent. En dehors de cela, le moins possible et surtout pas de leur initiative personnelle […] remarquez qu’il n’est pas moins très intéressant de voir comment, liés par ces statuts, ces gens vont faire, tous les jours de l’année et dans tous les faits usuels, du socialisme malgré eux, et presque sans le savoir. » (Lettre à Auguste Fabre, 31 mars 1889)

J’ai toujours vécu hors du monde

Après la mort de Godin, Marie Moret vit au Familistère dans un cercle familial exclusivement féminin, restreint à sa sœur Émilie Dallet, veuve d’un capitaine de la marine marchande, associée du Familistère qui lui a succédé à la surveillance des écoles, et à la fille de celle-ci, Marie-Jeanne, née à Guise en 1872. Son père et sa mère sont décédés au Familistère en 1868 et en 1879 ; son frère Amédée, qui vit depuis longtemps à Paris, meurt en 1891. Les trois femmes sont inséparables. Elles habitent dans deux appartements contigus de l’aile droite du Palais social. Marie Moret est la cheffe de famille. Elles reçoivent parfois quelques amis, principalement le journaliste Jules Pascaly (1849-1914), rédacteur en chef du Devoir installé à Paris, et le coopérateur nîmois Auguste Fabre (1833-1923), ancien associé du Familistère dont Marie Moret. À la belle saison, elles passent une partie de la semaine dans la maison de Lesquielles-Saint-Germain, où Marie apprécie d’être au contact de la nature. La petite famille voyage rarement, mais à partir de 1892 elle séjourne quelques semaines au printemps ou à l’hiver à Nîmes, chez Auguste Fabre. « Je n’ai de cesse depuis le décès de mon mari de me sentir comme dans un vide immense. Près de M. Fabre l’impression est autre, et il comprend l’œuvre de mon mari avec tant de vigueur de vues que ce que je puis faire en travaillant près de lui vaudra toujours mieux que ce que je ferais en restant dans mes conditions habituelles. Cela veut dire que je tâcherai de vivre avec lui le plus possible dorénavant, tantôt ici l’hiver tantôt au Familistère quand il y pourra venir. » (Marie Moret à Adeline Augustine Brullé-Tardieu, 23 janvier 1893) La vie intellectuelle de la maison de Fabre est stimulante. Marie-Jeanne Dallet y fait  la rencontre de l’historien, pacifiste et coopérateur Jules Prudhommeaux (1869-1848), qu’elle épouse à Nîmes en 1901.

Marie Moret refuse les honneurs et redoute les manifestations publiques Elle hésite même à participer à la cérémonie d’inauguration de la statue et du mausolée de Godin qui a lieu au Familistère le 2 juin 1889. Elle consent toutefois à être nommée officière des Palmes académiques pour le rôle qu’elle a joué dans le système éducatif familistérien. L’insigne lui est remis le 19 octobre 1890 au Familistère par le ministre des Travaux publics Yves Guyot, venu inaugurer à Guise la statue à l’effigie de Camille Desmoulins. Elle s’intéresse aux mouvements coopératif, pacifiste et féministe, dont elle lit les publications, ainsi qu’au spiritualisme, mais elle décline toutes les invitations qui lui sont faites de participer à leurs réunions ou congrès. « J’ai toujours vécu hors du monde et n’ai absolument aucune aptitude pour me mêler à lui », écrit-elle au pacifiste Hippolyte Destrem le 21 juillet 1889 ; « [je vis] exclusivement dans mes livres et papiers, en dehors du monde auquel je ne me suis jamais mêlée », écrit-elle encore à monsieur Ménétrier le 23 novembre 1891.

Marie Moret est absorbée par le Devoir. Le journal était la propriété personnelle de Godin qui ne voulait pas en imputer les frais à la charge l’Association. Après sa mort, Marie Moret en devient la propriétaire. Elle dirige la publication avec le concours de Jules Pascaly. Elle réunit les articles, surveille la composition, relit les épreuves et assure la diffusion des numéros, gère les abonnements et les échanges. Elle est à son aise dans le travail d’édition auquel elle a été confrontée dès 1870-1871 avec la publication des Solutions sociales de Godin. Sa connaissance du processus d’impression l’autorise à être ferme et directive dans ses relations avec l’imprimeur du journal Jules Baré. Marie Moret subvient seule au financement du journal. Il est parfaitement déficitaire et ne compte que quelques dizaines d’abonnés payants, mais Le Devoir est l’organe de propagande du Familistère et des idées qui ont présidé à sa réalisation. Sa diffusion en grande partie gratuite en France et à l’étranger est au cœur de l’apostolat de Marie Moret. À la fin de 1888, la faillite de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, dans laquelle Marie Moret a placé ses économies personnelles, réduit de façon importante ses revenus. Elle décide alors de transformer le journal hebdomadaire en publication mensuelle. Cette nouvelle périodicité répond également au souhait de Marie Moret de se détacher de l’actualité pour se consacrer à la diffusion des idées de Godin. En passant de 16 à 64 pages, Le Devoir devient le support de la publication des manuscrits inédits du fondateur du Familistère. À partir de mars 1891, elle édite dans le journal une série importante de documents biographiques sur le fondateur. En 1906, Marie Moret annonce aux lecteurs du Devoir que « L’âge et diverses circonstances nous obligeant à nous en tenir désormais à la publication des Documents pour une biographie complète de Jean-Baptiste André Godin, la revue Le Devoir prend fin avec le présent fascicule de décembre 1906. » (Le Devoir, t. 30, 1906, p. 723) Elle fait paraître en 1901 et en 1906 deux gros volumes de ces Documents, qu’elle distribue aux bibliothèques publiques déjà pourvues par ses soins d’une collection du Devoir. La publication du journal se conclut d’ailleurs avec la liste de ces bibliothèques en France et à l’étranger, dont Marie Moret a fait les conservatoires de la pensée de Godin. Le troisième volume des Documents ne voit le jour qu’en 1910.

En septembre 1907, Marie Moret se rend à Sens, dans l’Yonne, pour séjourner dans le cercle familial auprès de sa sœur, de sa nièce Marie-Jeanne-Dallet et de son neveu par alliance Jules Prudhommeaux, professeur dans le lycée de la ville. Elle y meurt le 14 avril 1908. Sa dépouille est inhumée aux côtés de celle de Godin à Guise. Un monument à sa mémoire est érigé sur une façade du mausolée du jardin d’agrément du Familistère. Sous le buste en bronze représentant Marie Moret, l’Association a fait graver : « Marie Adèle Moret, épouse et fervente collaboratrice de Jean-Baptiste André Godin, fondateur du Familistère ». Pour ses contemporains, la vie de Marie Moret apparaît dédiée à l’œuvre de Godin. Marie Moret n’a d’ailleurs pas cessé de répéter qu’elle était la disciple du réformateur. Elle a cependant un rôle actif dans l’élaboration et la concrétisation de la pensée de Godin en plus de sa diffusion. Marie Moret est une personnalité plus riche qu’elle ne l’a laissé entendre.

En conclusion de son mémoire de Master sur « Marie Moret (1840-1908), collaboratrice de Jean-Baptiste André Godin et directrice des Services de l’enfance du Familistère de Guise (Aisne) », Marie-Pierre Focillon Humbert écrit en 2012 : « En définitive, deux images contrastées de Marie Moret se superposent. D’un côté, c’est une femme appartenant au XIXe siècle, assujettie à un rôle de faire-valoir, effacée, dévouée jusqu’au sacrifice, négligeant ses propres aspirations d’écrivain, abandonnant toute prétention personnelle et refusant les louanges. D’un autre côté, c’est une femme intellectuelle tournée vers le XXe siècle qui aborde les domaines de l’action et de la décision réservés selon la "nature"’ aux hommes maîtrisant la culture, une femme qui étudie les sciences, qui a des opinions politiques, une rédactrice, une femme directive qui conseille et impose. »

 

Sources :
Guise, archives du Familistère : correspondance de Marie Moret (inv. n° 1999-9-51 à 60 et 2005-0-122 à 129).
Paris, Bibliothèque centrale du Conservatoire national des arts et métiers, fonds Godin : Marie Moret, Mémoire sur la fonction de secrétaire du fondateur, 14 octobre 1880 (FG IV (2) 7/2) ; Marie Moret, Mémoire sur la direction des services de l’enfance, 14 octobre 1880 (FG 39-2) ; testament de Jean-Baptiste André Godin, 30 juin 1887 (FG 10-2c) ; correspondances de Jean-Baptiste André Godin et de Marie Moret, notamment : correspondance entre Jean-Baptiste André Godin et Marie Moret, 1858, 1860 (CNAM FG 44-1), lettre de Godin au Procureur impérial du tribunal de Vervins, 15 juillet 1864 (FG 15-7) ; lettre de Marie Moret à Marie Howland, 18 avril 1878 (FG 43-1) ; lettre de Marie Moret à Amédée Moret, 4 mai 1889 (FG 43-7).
Laon, archives départementales de l’Aisne, état civil de la ville de Guise.

Le Devoir (Guise, 1878-1906), [en ligne], le Cnum, URL : http://cnum.cnam.fr/CGI/redir.cgi?P1132
Dallet (Émilie), « Biographie de Marie A. Moret veuve de J.-Bte André Godin », Guise, dans Documents pour une biographie complète de Jean-Baptiste André Godin rassemblés par sa veuve, née Marie Moret, t. III, Guise, Familistère de Guise, 1910, p. IX-XXIII (réédité sous le titre In memoriam. Marie-A. Moret, veuve de J.-B. André Godin, Nîmes, Imprimerie A. Chastanier, [1911]).
Sauvé (Nicolas), « Le Devoir (1878-1888), outil de propagande du Familistère de Guise », mémoire de Master 1, Université de Picardie, 2006.
Focillon-Humbaire (Marie-Pierre), « Marie Moret (1840-1908), collaboratrice de Jean-Baptiste André Godin et directrice des Services de l’enfance du Familistère de Guise (Aisne) », Master 2, sous la direction de Rebecca Rogers, Université Paris V-René Descartes, 2012.

Notice créée le 07/01/2021. Dernière modification le 18/02/2021.