15/09/2022 – 27/11/2022
En bonne compagnie ! Portraits collectifs du Familistère et du CRP/

Œuvres choisies

Groupe d'enfants et leurs nourrices

Groupe d'enfants et leurs nourrices devant la nourricerie du Familistère de Guise. Photographie Marie-Jeanne Dallet-Prudhommeaux, vers 1897. Collection Familistère de Guise (inv. n° 1976-1-66). Crédit photographique : Familistère de Guise / Arkhênum.

Groupe d'enfants et leurs nourrices sur la pelouse devant la façade nord de la nourricerie du Familistère de Guise.
Marie-Jeanne Dallet (1872-1941)
1897, aristotype à la gélatine.
11,6 x 16,9 cm
Collection Familistère de Guise (inv. n° 1976-1-66).

À Nîmes, Marie-Jeanne et Auguste Fabre apprennent à photographier avec un professionnel de la ville.

L’homme de l’art leur montre comment utiliser une chambre photographique, qui, leur explique-t-il, est une véritable école du regard : voir l’image inversée sur le dépoli éloigne de la représentation au profit de la composition et de la lumière, ce qui est l’essentiel de la photographie.

Il leur apprend à mettre au point sur le dépoli à l’abri de la lumière sous le voile noir, à décentrer l’objectif pour bien cadrer selon la position que l’on occupe dans un paysage, à basculer le corps arrière de l’appareil pour contrôler la profondeur de champ et les perspectives, et corriger quand nécessaire les verticales lorsque l’on photographie un bâtiment.

Ensuite, dans le laboratoire, il les initie à la chimie du développement et au tirage des épreuves, formation indispensable qui fait de l’amateur un véritable photographe autonome. Marie-Jeanne s’est fait envoyer La photographie et la photochimie par G. H. Niewenglowski, avec 120 gravures dans le texte, qui vient tout juste de paraître aux éditions Félix Alcan à Paris.

- Hugues Fontaine

Sans titre, vers 1930. Collection CRP/ © Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

Sans titre, Série Portraits.
Kasimir Zgorecki (1904-1980)
vers 1930
Tirage argentique, noir et blanc, papier baryté, 1994.
Tirage moderne réalisé à partir de la plaque de verre originale.
Collection CRP/ Centre régional de la photographie des Hauts-de-France.
© Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022. 

Qu’il soit dans son studio ou appelé à l’extérieur pour une commande, Kasimir utilise le plus souvent des plaques de verre photographiques déjà émulsionnées de grand format, même s’il lui faut, pour cela, transporter l’appareil idoine à vélo sur plusieurs kilomètres.

Sur les négatifs, des plaques de  verre de 13 x 18 cm, voire de  18 x 24 cm, les sujets apparaissent très largement cadrés. Le photographe préfère se concentrer sur la composition de l’image, encore très codifiée, plutôt que sur le cadrage qui sera retravaillé au moment du tirage. Immédiatement après la prise de vue, Kasimir intervient parfois directement sur le négatif en grattant la couche émulsionnée afin de prédéfinir les lignes de découpe de l’image. Dans son laboratoire de développement et de tirage, toutes les photographies sont ensuite recentrées sur le sujet afin de supprimer toutes les « imperfections »  du décor inhérentes au large cadrage de la photographie.

Exercices de gymnastique des classes primaires dans le préau des écoles du Familistère. Photographie Marie-Jeanne Dallet, 1897. Collection Familistère de Guise (inv. n° 1976-1-85). Crédit photographique : Familistère de Guise / Arkhênum.

Exercices de gymnastique des classes primaires dans le préau des écoles du Familistère.
Marie-Jeanne Dallet (1872-1941)
1897, tirage au gélatino bromure d'argent.
11,9 x 16,9 cm
Collection Familistère de Guise (inv. n° 1976-1-85).

En cette fin de siècle, la photographie se pratiquait au moyen de plaques au gélatinobromure d’argent dites « plaques sèches », par opposition aux plaques au collodion humide employées précédemment. Elles étaient fabriquées industriellement (Lumière, Jougla, Guilleminot…) et l’on pouvait les conserver plusieurs mois avant de les insoler puis de les développer dans un bain de révélateur. Les négatifs ainsi développés permettaient de produire, par contact, des épreuves sur du papier rendu sensible par trempage dans une solution d’albumine (du blanc d’œuf) mélangée à du chlorure de sodium (du sel de cuisine) puis dans un bain d’argent (nitrate). Ce papier sensibilisé à la lumière — ce que savaient faire la plupart des photographes — était également produit industriellement et conservait ses propriétés photosensibles pourvu qu’on le conservât à l’abri de la lumière et de l’humidité.

On utilisait pour obtenir une épreuve photographique un châssis-presse dans lequel on plaçait l’un contre l’autre, derrière une plaque de verre, le négatif et le papier dit « à noircissement direct », de sorte que sa face sensible soit au contact de la face gélatinée du négatif. Une simple exposition au soleil produisait l’apparition de l’image. Exposé à la lumière à travers le cliché, le papier noircissait aux endroits correspondant aux parties transparentes du négatif.

On pouvait, en ouvrant une moitié seulement du châssis, contrôler l’apparition de la « photographie » et interrompre le travail de noircissement quand on le jugeait nécessaire. Il suffisait de se mettre à l’abri du soleil et de procéder rapidement à l’opération.

On devait ensuite rincer, fixer l’épreuve en la plongeant dans une solution d’hyposulfite de sodium, ce qui dissolvait le chlorure d’argent non impressionné, puis terminer en lavant abondamment le papier afin d’enlever toute trace d’hyposulfite qui serait une cause d’altération. Et finalement, on laissait sécher les épreuves à l’abri de la poussière. Après le fixage, pour éviter des altérations, on pouvait remplacer l’argent qui forme l’image par un métal plus stable, l’or et quelquefois le platine, en plongeant le tirage dans un bain de virage. Il arrivait, si l’épreuve, insuffisamment lavée, contenait encore des traces d’hyposulfite, qu’elle jaunisse ou blanchisse et que l’image progressivement disparaisse.

- Hugues Fontaine

Sans titre, vers 1930. Collection CRP/ © Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

Sans titre, Série Façades.
Kasimir Zgorecki (1904-1980)
vers 1930
Tirage argentique, noir et blanc, papier baryté, 1994.
Tirage moderne réalisé à partir de la plaque de verre originale.
Collection CRP/ Centre régional de la photographie des Hauts-de-France.
© Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022. 

Kasimir effectue un gros travail de postproduction sur ses photographies. Elles sont principalement tirées par contact direct sur papier au même format que le négatif ou bien passées à l’agrandisseur pour obtenir des formats plus importants. Son agrandisseur à lumière froide de marque Charpiot-Reinhel lui permet d’obtenir un tirage très contrasté grâce à la lumière douce diffusée par un serpentin en tube néon. Cette technique élimine tant les imperfections que les griffures présentes sur le négatif. Le taux d’agrandissement, variable selon la hauteur de la tête sur la colonne de l’appareil, peut être très important dans le cadre d’une commande de portraits collectifs associatifs ou religieux. Kasimir étant aussi peintre-coloriste, il retouche très fréquemment ses photographies, tirages comme négatifs : ajout de détails et accentuation des contrastes à la mine de plomb ou à l’encre, rehauts de couleurs à l’aquarelle ou aux pastels… Ces « portraits crayons » sont proposés avec les portraits non retouchés lors de la livraison. Sur demande, Kasimir pratique également le photomontage, créant une nouvelle photographie à partir de deux images existantes.

Sans titre, 1930. Collection CRP/ © Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

Sans titre, Série Portraits.
Kasimir Zgorecki (1904-1980)
1930
Tirage argentique, noir et blanc, papier baryté, 1994.
Tirage moderne réalisé à partir de la plaque de verre originale.
Collection CRP/ Centre régional de la photographie des Hauts-de-France.
© Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

Le studio du photographe est un outil de travail au même titre que son matériel photographique. La composition de l’image en studio est une construction fabriquée de toutes pièces par le photographe: Kasimir arrange la toile de fond peinte, l’éclairage et les accessoires qui évoluent au fil du temps, tel un véritable intérieur domestique. La mise en scène et la pose des modèles reflètent l’influence du théâtre mêlée d’échos de la tradition picturale. Tel un metteur en scène ou un artiste peintre, le photographe coordonne ses sujets et leur dicte la position à tenir. Entre deux prises de vues, pour éviter une perte de temps inutile, les réglages de l’appareil photographique restaient inchangés, adaptés à un seul format de plaque de verre, le plus souvent 6 x 9, 10 x 15 ou 13 x 18 cm lorsqu’il s’agissait de groupes. Ainsi, une fois la chambre photographique correctement placée au centre du studio et immobile, seul le point reste à faire sur le nouveau sujet placé par Kasimir pour correspondre à la position de l’appareil.

Femmes devant les étendoirs de la buanderie-piscine du Familistère de Guise. Photographie Marie-Jeanne Dallet, vers 1897.Collection Familistère de Guise (inv. n° 1999-1-326). Crédit photographique : Familistère de Guise / Arkhênum.

Femmes devant les étendoirs de la buanderie-piscine du Familistère de Guise.
Marie-Jeanne Dallet (1872-1941)
1897, tirage au gélatino bromure d'argent.
12 x 17 cm
Collection Familistère de Guise (inv. n° 1999-1-326).

En février 1899, Marie-Jeanne confectionne, avec l’aide de sa mère, des plaques « pour la projection à la lumière électrique ». Depuis les premières projections photographiques des années 1870, comme celles qui illustrent les séances du soir à la Société de géographie de Paris, « l’enseignement par les projections lumineuses », ainsi que le vante une annonce publicitaire de l’entreprise Alfred Molteni, a pris un essor considérable, en dépit des critiques de certains qui jugent indigne l’utilisation de la « lanterne magique » des fêtes foraines pour la pratique de l’enseignement. Le souci de vulgarisation du savoir rencontra toutefois l’adhésion du public frappé de voir des choses inconnues représentées de manière exacte et pour ainsi dire vivante. Comme le fera remarquer Charles Gide en 1923, ces séances précédèrent l’apparition du cinéma.

- Hugues Fontaine

Sans titre, vers 1930. Collection CRP/ © Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

Sans titre, Série Portraits.
Kasimir Zgorecki (1904-1980)
vers 1930
Tirage argentique, noir et blanc, papier baryté, 1994.
Tirage moderne réalisé à partir de la plaque de verre originale.
Collection CRP/ Centre régional de la photographie des Hauts-de-France.
© Kasimir Zgorecki, ADAGP, Paris, 2022.

En 1990, avec la redécouverte des 5 000 négatifs de Kasimir Zgorecki, est venue la question de leur retirage moderne. Ayant conscience du changement de valeur de ces photographies, passant de mémorielle à artistique, Frédéric Lefever fit le choix de tirer les plaques de verre négatives dans leur intégralité. Il n’est donc plus question de recadrage sur le sujet, mais de laisser apparaitre, en toute transparence, tous les hors-champs qui furent éliminés sur les tirages originaux par le traitement en postproduction de Kasimir. Apparaissent alors autour des sujets les accompagnateur·trices des modèles ou les client·es attendant leur tour, le rebord de la toile de fond peinte, le dispositif d’éclairage d’un côté et le réflecteur de l’autre, les autres accessoires de l’atelier…  Les perspectives de l’image changent et la photographie devient dès lors documentaire.

La fête de l'Enfance du Familistère de Laeken dans la cour du pavillon d'habitation. Photographie Marie-Jeanne Dallet, 1898.Collection Familistère de Guise (inv. n° 2000-1-231). Crédit photographique : Familistère de Guise / Arkhênum.

La fête de l'Enfance du Familistère de Laeken dans la cour du pavillon d'habitation.
Marie-Jeanne Dallet (1872-1941)
1898, tirage au gélatino bromure d'argent.
16,9 x 12,4 cm
Collection Familistère de Guise (inv. n° 2000-1-231)

En septembre 1898, Marie-Jeanne se rend à Laeken-lez-Bruxelles où se trouve une succursale des établissements Godin et un palais sociétaire, réduction du Familistère modèle de Guise. Elle va y faire des prises de vue à l’occasion de la fête de l’Enfance. Marie Moret écrit préalablement au Grand Hôtel de Bruxelles pour savoir s’il existe dans l’hôtel « un laboratoire pour le développement des vues photographiques, à la disposition des voyageurs ».

Certains hôtels (et certains photographes) proposaient au voyageur une chambre noire pour les travaux photographiques. Au minimum, une pièce obscure avec une table et une lampe inactinique pour la recharge des châssis, au mieux, la même chose avec de l’eau courante pour le développement des plaques et le tirage de positifs par contact, qu’il fallait fixer et laver soigneusement. Les annuaires photographiques donnaient les adresses où l’on pouvait trouver ces laboratoires. Des entêtes de papier à lettres de certains hôtels témoignent de l’offre de ce service aux photographes amateurs ou de passage.

L’intérêt, bien sûr, de faire toutes ces opérations en voyage, et non de retour chez soi au moyen d’un équipement plus satisfaisant, était de juger sur place du résultat de son travail de prise de vue.

Notice créée le 16/08/2022.