Deux ardoises sont enchâssées dans deux cadres en bois vernis articulées par des

Double ardoise utilisée en 1877 pour une expérience de communication spirite. Collection Familistère de Guise (inv. n° 1999-05-003). Crédit photographique : Familistère de Guise, 2018.

Deux ardoises sont enchâssées dans deux cadres en bois vernis articulées par des

Double ardoise utilisée en 1877 pour une expérience de communication spirite. Collection Familistère de Guise (inv. n° 1999-05-003). Crédit photographique : Familistère de Guise, 2018.

Double ardoise utilisée en 1877 pour une expérience de communication spirite

Auteur :

Slade (Henry)

Médium spirite américain (1835-1905).

Lieu :

Bruxelles

Date : 1877
Fabricant :

A. W. Faber

Fabricant de crayons et de matériel de dessin actif en Allemagne depuis 1761.

Lieu :

Geroldsgrün

Date : 1850-1899
Technique : métal ; bois ; ardoise ; craie
Mesures : H. 25,7 x L. 15,4 x ép. 1,5 cm (fermé)
Inscriptions :

marque de fabricant gravée sur le haut du cadre du volet intérieur de gauche : « A. W. FABER. N° 46 » ; texte manuscrit à la craie sur les deux plaques d’ardoise.

Domaine :

objet mobilier

Acquisition : fonds ancien du musée municipal de Guise, transféré en 2006.
Inventaire n° : 1999-5-3
Notice :

Jean-Baptiste André Godin est initié au spiritisme par des amis fouriéristes à Paris le 13 août 1853, à l’occasion d’une séance de « table parlante ». L’industriel croit en l’existence immatérielle des esprits des défunts et à la possibilité de communiquer avec eux. Il fait partie de ces socialistes qui, après les désillusions de 1848, embrassent le spiritisme comme l’une des voies du progrès social. Godin entretient des relations avec des personnalités du milieu spirite français comme Victorien Sardou, Eugène Nus, Camille Flammarion, Édouard Fauvety ou Pierre-Gaëtan Leymarie. Il lit la Revue spirite, fondée par Allan Kardec en 1858. Avec sa compagne Marie Moret et la sœur de celle-ci, Émilie Dallet, il organise régulièrement des séances de communication spirituelle au Familistère.

En 1877, Godin apprend que le célèbre et contesté médium américain Henry Slade est arrivé en juillet à Bruxelles et prévoit de séjourner quelque temps dans la capitale belge. Il écrit le 14 septembre 1877 à Ch. Fritz, secrétaire de la Société spirite l’Union de Bruxelles, pour solliciter la possibilité d’assister à une « expérience » spirite conduite par Slade : « Quoique très au courant depuis plus de vingt années, écrit Godin, je serais très heureux de voir une expérience d'écriture directe et de matérialisation ». L’écriture, par les esprits eux-mêmes, de messages tracés à la craie sur des ardoises était une spécialité du médium américain. Le 20 septembre 1877, Godin et Marie Moret se rendent à Bruxelles et assistent à plusieurs séances spirites animées par Slade. Ils font un compte-rendu de leur visite (« Visites chez M. Slade »), qui est partiellement publié par Édouard Fauvety en octobre 1877 dans La Religion laïque et par Pierre-Gaëtan Leymarie en 1880 dans Le spiritisme devant la science et le matérialisme mécaniciste devant la raison.

« Après avoir entendu de M. Fritz le récit des phénomènes que produisait M. Slade et avoir pris rendez-vous pour le soir même aller voir M Slade à 7 heures un quart, M. Godin et Made Marie s’en sont allés, et ayant avisé un magasin de papeterie, ils ont acheté deux ardoises reliées ensemble par des charnières et formant ainsi une boîte vernie sur ses faces extérieures, la dite boîte se tenant fermée par une coulisse dans laquelle passait un crayon d’ardoise. M. Godin prit le soin, en rentrant à l’hôtel, de faire à cette ardoise plusieurs marques : les unes visibles, les autres non visibles, afin d’être assuré que ces ardoises ne pourraient être changées sans qu’il s’en aperçoive, s’il pouvait obtenir que M. Slade s’en servit le soir. » (« Visites chez M. Slade ») Godin prend des précautions pour éviter une substitution d’ardoises au cours de la séance. Slade, en effet, a été accusé de supercherie à Londres en 1876, et l’industriel ne souhaite pas que l’expérience, si elle réussit, puisse être mise en doute. La première séance a donc lieu chez le médium, le soir de l’arrivée du couple à Bruxelles. Autour d’une petite table, sont assis Godin, Moret, Slade et la nièce de celui-ci, qui sert d’interprète. « La chaîne fut formée par les mains sur la table, et des coups forts et nets furent immédiatement entendus, frappant au centre de la table […] M. Slade prit l’ardoise double de M. Godin, l’ouvrit sur la table, posa sur une des faces intérieures une touche de crayon, la referma, puis, la chaîne étant reformée de façon toujours à ce que M. Slade eût la main droite libre (la gauche tenant unies une main de M. Godin et une de l’interprète), M. Slade promena l’ardoise double, en pleine lumière, sur l’épaule gauche de M. Godin, contre son oreille et le long de son bras. On entend aussitôt le crayon écrire entre les deux ardoises, puis les deux coups indiquant que l’opération est terminée, et le crayon s’arrête. L’ardoise est ouverte ; elle porte, tracée, sur une de ses faces intérieures, une ligne en caractères hiéroglyphiques, puis une phrase en anglais se traduisant ainsi " Vous avez beaucoup d’amis présents ". On referme l’ardoise, l’opération recommence. M. Slade tient l’objet contre la poitrine de M. Godin, on entend de nouveau écrire le morceau de crayon, deux coups frappés marquent la fin, on ouvre et sur l’autre face intérieure de l’ardoise est écrite en anglais et presque en abrégé une phrase que l’interprète traduit ainsi : " cette ardoise, glacée comme verre nous gêne pour en faire usage. " » (« Visites chez M. Slade »)

La double ardoise conservée au Familistère de Guise (inv. n° 1999-5-3), fabriquée par le manufacturier allemand A. W. Faber, correspond exactement à la description de l’objet acheté le 20 septembre 1877 après-midi par le couple Godin Moret dans une papeterie de Bruxelles. Elle est sans aucun doute celle qui a été utilisée par Henry Slade le soir du même jour. On reconnaît dans les inscriptions manuscrites hésitantes tracées à la craie sur les plaques d’ardoise les textes mentionnés dans le récit de la séance de communication spirite. Une autre double ardoise, utilisée par Slade lors d’une deuxième démonstration d’écriture spirite, est également conservée au Familistère de Guise (inv. n° 1999-5-4).

Jean-Baptiste André Godin et Marie Moret ont préservés intactes les ardoises comme preuves matérielles des manifestations spirituelles dont ils pensaient avoir été les témoins. Ils sont en effet convaincus de la médiumnité de Slade, malgré les suspicions dont il est l’objet, et de la réalité des « phénomènes » qu’il leur a été donné d’observer à Bruxelles : « J’y ai été témoin de phénomènes spirites qui m’ont donné la preuve de faits que je désirais vérifier depuis longtemps », écrit Godin à son ami Tisserant le 25 septembre 1877. Plusieurs semaines après l’expérience, l’industriel semble encore sous l’impression reçue alors : « Peut-être est-il bon de vous assurer que ce que je relate de mes visites chez M. Slade n’est qu’un récit très affaibli des phénomènes dont j’ai été le témoin », glisse-t-il dans le post-scriptum de sa lettre à Édouard Fauvety du 11 octobre 1877. Dix ans plus tard, la croyance de Godin n’a pas vacillé : « je dois vous dire que je suis tellement fixé sur la réalité des phénomènes que M. Slade a produits devant moi que je n'éprouve pas le besoin d'une nouvelle séance », écrit-il le 21 avril 1886 en réponse à une invitation du médium américain. Il tient d’ailleurs de fréquentes séances de communication spirituelle au Familistère avant et après l’épisode de Bruxelles.

Godin doit finalement concéder, après de nouvelles accusations de supercherie portées contre Slade, que la probité du médium peut être mise en doute. Tout en minimisant l’importance qu’eut pour lui l’expérience de septembre 1877, il réaffirme sa foi dans les « vérités spirites » : « Je ne puis avoir une opinion quant à l’état actuel des facultés de M. Slade, écrit-il le 27 mai 1886 à un spirite belge. Lorsque j’ai parlé de lui, j’étais certain de ce que j’avais vu ; mais dès que la médiumnité s’exerce en vue des gains, il y a toujours à se mettre en défiance contre ceux qui s’y livrent et vous devez savoir comme moi que les personnes professant le spiritisme ne sont pas pour cela à l’abri des faiblesses de la malhonnêteté. Nous avons eu de trop remarquables exemples sous ce rapport pour pouvoir nous prononcer d’une façon absolue sur la valeur des gens et des expériences qu’ils offrent au public, quand nous ne sommes pas en possibilité de les apprécier par nous-mêmes. Par conséquent, bien qu’en 1877 j’ai été certain de la médiumnité remarquable de M. Slade, il est dans les faits possible que celui-ci ait perdu, depuis, tout ou partie de sa médiumnité. L’attitude des journaux spirites de Paris semblerait indiquer quelque chose de ce genre. Je ne puis donc rien vous affirmer concernant les facultés présentes de M. Slade ni les moyens qu’il emploie. Je considère du reste que ce n’est pas parce qu’il réussirait plus ou moins bien dans ses séances que cela pourrait influer sérieusement sur le progrès des idées spiritualistes. Pour mon compte, bien que j’aie été désireux, autrefois, de constater de visu les facultés de ce médium, je n’en avais pas autrement besoin pour former mes convictions […] Autant une saine propagande concernant les phénomènes spirites me paraît utile, autant en ce qui me concerne je tiens à être réservé sur tout ce qui peut donner matière à surprises défavorables. Cela, soyez-en certain, sans faux scrupule, car j’espère prochainement par la publication d’un nouvel ouvrage, aider à ma façon à la propagande des vérités spirites et surtout à la démonstration de leur réelle utilité dans le monde, point trop souvent négligé jusqu’ici, à mon avis, par les spirites. »

Sources et bibliographie :
Paris, Bibliothèque centrale de prêt du Conservatoire national des arts et métiers, fonds Godin : [Jean-Baptiste André Godin et Marie Moret], « Visites chez M. Slade », manuscrit, vers 1877 (FG 7-3) ; lettres de Godin : à Ch. Fritz, 14 septembre 1877 (FG 15-18) ; à Tisserant, 25 septembre 1877 (FG 15-18) ; à Édouard Fauvety, 10 octobre 1877 (FG 15-18) ; à Anthelme Frédérik, 21 avril 1886 (FG 15-26) ; à Bertrand-Godar, 27 mais 1886 (FG 15-26).
Revue spirite. Journal des sciences psychologiques, vingtième année, 1977, n° 9, septembre 1877, p. 299-301.
Le spiritisme devant la science et le matérialisme mécaniciste devant la raison, Paris, Librairie des sciences psychologiques, 1880, p. 22-32 et p. 80-112.
Des machines au service du peuple. Godin et la mécanique, ouvrage publié sous la direction de Frédéric K. Panni et de Hugues Fontaine à l’occasion de l’exposition éponyme (Familistère de Guise, 7 octobre 2017 – 24 juin 2018), Guise, Les Éditions du Familistère, 2017, p. 147-149.

Mots-clés : spiritisme
Œuvres en rapport :

Double ardoise utilisée en 1877 pour une expérience de communication spirite

Notice créée le 10/03/2019. Dernière modification le 28/05/2019.